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Prologue du Livre de Chasse de Gaston Fébus
ICI COMMENCE LE PROLOGUE du « Livre de Chasse » que fit le comte Fébus de Foix, seigneur de Béarn. Au nom et en l'honneur de Dieu, créateur et seigneur de-toutes choses et de son fils béni Jésus-Christ et du Saint-Esprit, de toute la sainte Trinité et de la Vierge Marie et de tous les saints et saintes qui sont en la grâce de Dieu, moi, Gaston, surnommé Fébus, comte de Foix, seigneur de Béarn, durant toute mon existence me suis tout spécialement réjoui dans trois choses : les armes, les amours et la chasse. Comme dans deux de ces occupations il y a eu de bien meilleurs maîtres, de bien meilleurs chevaliers que moi et beaucoup de gens aussi qui ont eu de meilleures chances en amour que je n'en ai eu, ce serait une grande sottise si j'en parlais. Je renonce à ces deux sujets des armes et des amours car ceux qui voudront s'en acquitter, apprendront mieux par la pratique que je ne pourrais l'expliquer en paroles; aussi garderai-je le silence. Mais pour la troisième activité, celle où je ne crains pas qu'il y ait de meilleur maître que moi, quoique ce soit vanité, je peux en parler car il s'agit de chasse. J'expliquerai donc, chapitre par chapitre, toutes les variétés et espèces de bêtes que l'on chasse de façon habituelle, et aussi leur genre de vie. Bien que certains chassent les lions, les guépards, les onagres ou les aurochs, je n'en veux point parler car on les chasse peu et peu de chiens y sont aptes. Mais j'entends parler des autres bêtes que l'on chasse de façon plus courante et que les chiens poursuivent volontiers, pour l'apprendre à nombre de gens qui veulent chasser et ne savent pas le faire, bien qu'ils en aient le désir. En premier lieu, je-parlerai des bêtes douces, parce qu'elles sont plus calmes et plus nobles. Tout d'abord du cerf et de toutes les variétés de son espèce, tels le renne et le daim, le bouquetin et le chevreuil, et je ferai de même pour le lièvre et le lapin. Après ces bêtes douces, je parlerai de l'ours et du sanglier, puis du loup, du renard, du lynx et pour terminer, du blaireau et de la loutre, de la manière de vivre de toutes ces espèces et de leur nature. Avec la grâce de Dieu, je parlerai ensuite des espèces de chiens qui chassent et capturent les animaux. En premier lieu de l'espèce des alans, puis de celle des lévriers, après des chiens courants et aussi des espèces de chiens pour la perdrix et la caille, et enfin de toutes les espèces de chiens croisés, de mâtins, d'alans, de lévriers ou de chiens courants et autres de ce genre. Je poursuivrai en parlant des qualités et du comportement que doit avoir un bon veneur. Ce livre a été commencé le premier jour de mai, l'an de grâce de l'incarnation de Notre Seigneur que l'on comptait mille trois cent quatre-vingt et sept. Et j'ai commencé ce livre parce que je veux que tous ceux qui le liront ou l'écouteront, sachent, j'ose bien le dire, que de la chasse il peut advenir beaucoup de bien. On échappe ainsi "aux sept péchés mortels et on chevauche mieux et plus rapidement en étant plus instruit, plus avisé, plus à l'aise et plus hardi et l'on connaît mieux tous les terrains et les endroits où l'on passe. Pour parler bref et court, toutes les bonnes habitudes et les bonnes mœurs en découlent et contribuent au salut de l'âme, car celui qui fuit les sept péchés mortels, selon notre foi, devrait être sauvé. Ainsi le bon veneur sera sauvé et aura beaucoup de joie, de gaieté et de plaisir en ce monde; mais qu'il se garde de deux choses :l'une, que pour sa chasse il ne perde la connaissance et le service de Dieu de qui vient tout bien, l'autre, qu'il ne néglige pas le service de son maître ni de ses propres affaires qui doivent lui importer davantage. Maintenant je te prouverai comment le bon veneur ne peut raisonnablement tomber dans aucun des sept péchés mortels. En premier lieu, tu sais combien l'oisiveté est cause de tous les maux; lorsqu'on est inactif, nonchalant, sans aucune occupation et que l'on reste dans sa chambre, étendu sur son lit, l'imagination vagabonde et suscite le plaisir de la chair. L'homme désœuvré ne se soucie de rien d'autre que de méditer sur l'orgueil, l'avarice, la colère, la paresse, la gourmandise, la luxure ou l'envie, car les pensées de l'homme sont plus orientées vers le mal que vers le bien à cause de ses trois ennemis : le diable, le monde et la chair. Il est donc prouvé suffisamment, quoiqu'il y ait encore beaucoup d'autres raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, que toute personne de bon jugement sait bien qu'oisiveté est mère de toutes les mauvaises pensées.Est-il vraiment nécessaire de prouver que la pensée est reine et maîtresse de tout le corps et des membres de l'homme et détermine toutes les actions bonnes ou mauvaises qu'il fait? Tu sais bien que jamais une bonne ou une mauvaise action, petite ou grande, ne se fit sans avoir d'abord été imaginée ou pensée, c'est donc bien la réflexion qui est maîtresse des agissements de l'homme. Jour après jour, celui qui s'imaginerait être fou ou atteint de toute autre maladie, le deviendrait car il le croirait intensément. Ses actions seraient celles d'un fou comme son imagination le lui commanderait. Il est maintenant bien établi que le bon veneur ne peut être oisif et par conséquent avoir de mauvaises pensées ni d'actions mauvaises, car sinon comment le lendemain ferait-il correctement son métier ? Aussi, la nuit venue, se couchera-t-il dans son lit et ne pensera qu'à dormir et à se lever de bon matin pour accomplir avec une grande ardeur sa tâche de bon veneur. Il n'aura que faire de penser à autre chose qu'au travail qu'il doit réaliser et sa préoccupation l'empêchera d'être oisif car depuis le matin il aura suffisamment à faire, sans penser au pèche ou à de mauvaises choses. Dès l'aube du Jour, il faut qu'il soit levé et parte à la recherche du gibier avec zèle, ainsi que plus longuement je l'expliquerai quand je parlerai de la quête du gibier. Et quand il rejoindra l'assemblée des chasseurs, il aura encore plus à faire pour organiser la poursuite d'un cerf et lâcher ses chiens sans qu'il soit préoccupé par autre chose que de faire son travail. Et quand il aura laissé courir ses chiens, sa pensée vagabondera encore moins tant il sera occupé à chevaucher avec eux et à les bien suivre, à crier en chassant, à sonner du cor, à faire attention à ce qu'il chasse, avec quels chiens, à quêter convenablement et à retrouver la voie du cerf quand ils l'auront perdue. Ensuite, quand le cerf est pris, il est encore moins porté à penser à mal, car il a d'autant plus à s'occuper pour écorcher le cerf, le découper et distribuer leur part aux chiens, de bien faire la curée et de contrôler avec attention qu'il ne manque aucun de ceux qui ont été amenés le matin dans les forêts, sinon d'aller promptement les rechercher. Il prendra ensuite grand soin de son cheval et pourra alors rentrer chez lui pour se mettre à l'aise et préparer son souper, se sécher de la rosée du bois ou d'une pluie éventuelle et las d'une journée bien active il se disposera à dormir. Aussi, je dis qu'un bon veneur ne peut être dans l'oisiveté ou avoir de mauvaises pensées tant il a d'occupations, c'est pourquoi on peut être assuré qu'il ira tout droit en Paradis. Il est évident que le veneur vit dans ce monde plus joyeusement que tout autre car, se levant de bon matin, il voit la très douce et belle aurore et le temps clair et serein, il entend les oiselets qui chantent doucement, mélodieusement, amoureusement, chacun en son langage, le mieux qu'ils peuvent selon ce que la nature leur a appris. Et quand le soleil sera levé, brillera cette douce rosée sur les petites branches et sur les herbes luisantes de l'ardeur de ses rayons et ce sera grand plaisir et grande joie au cœur du veneur. Et quand il sera en chasse et qu'il rencontrera subitement, sans s'y attendre, un grand cerf et le découvrira bien avec son limier et le serrera de près, sa joie sera à son comble. C'est alors qu'il viendra à l'assemblée rendre compte au maître de chasse et à ses compagnons de ce qu'il a vu de son œil ou repéré par les traces ou par les fumées qu'il aura ramassées dans son cor ou dans le pan de son vêtement. Chacun s'exclamera : « Voici un grand cerf à dix cors » et s'il est en bonne meute :« Laissez courir les chiens », sujet sur lequel je donnerai de plus amples explications par la suite. Le veneur en éprouve une grande joie. Sur ces entrefaites commence la poursuite ; peu de temps après, il entendra ou verra lancer l'animal devant lui et saura bien que c'est son cerf. Alors les chiens accourront là où le cerf gîte et il faudra les découpler à cet; endroit et toute la meute l'attaquera bien. Ensuite il montera à cheval en grande hâte pour accompagner ses chiens et si par hasard ils s'étaient un peu trop éloignés, il forceraqu'ils vivent en ce monde plus joyeusement que nul autre. Je dirai encore que les veneurs vivent plus longtemps car ils boivent et mangent moins que les autres gens, parce qu'au matin, à l'assemblée, ils mangent très peu et comme dit Hippocrate :« Surabondance de viandes tue plus sûrement que le font lance ou poignard ». Et lorsqu'au soir ils soupent bien, du moins auront-ils au matin compensé leurs excès car ils auront mangé peu et leur corps ne sera pas empêché de faire sa digestion, ce qui aurait engendré de mauvaises et abondantes humeurs. C'est ainsi que pour l'homme malade, on le met à la diète et on ne lui donne que de l'eau sucrée et de petites choses semblables pendant deux ou trois jours pour diminuer l'humeur et la surabondance ; on lui donne en plus un lavement. Il n'est pas nécessaire de le faire au veneur car il ne peut avoir de mauvaises humeurs parce qu'il s'est beaucoup fatigué. Il me semble ainsi que j'ai donné des preuves suffisantes car les médecins font peu manger les malades pour les guérir, suer pour achever de guérir, et comme les veneurs mangent peu et suent toujours, ils doivent vivre plus longtemps, longuement, sainement et en joie. Puis, leur fin venue, avoir le salut de l'âme. Donc soyez tous veneurs et vous ferez œuvre de sagesse. Et pour tout cela je propose et conseille à tout le monde, quelle que soit sa condition, d'aimer les chiens et les chasses et les plaisirs pris avec les bêtes ou les oiseaux. Jamais, j'en fais serment devant Dieu, je ne vis un prud'homme, pour aussi riche qu'il fût, demeurer oisif s'il aimait les divertissements des chiens ou des oiseaux, car cela vient d'un cœur très lâche quand on ne veut pas y prendre de la peine. Et s'il y avait quelque guerre ou difficulté grave, il ne saurait que faire car peu habitué à la fatigue, et il serait alors nécessaire que quelqu'un d'autre le fasse. On dit tous les jours : « Tant vaut le maître, tant valent ses hommes et sa terre ». Et aussi, dis-je, que je ne vis jamais un homme aimant le travail et le divertissement des chiens ou des oiseaux qui n'eût en lui beaucoup de bonnes habitudes, car cela lui vient d'un esprit noble et par gentillesse de cœur, quelle que soit la condition de l'homme, grand ou petit seigneur, pauvre ou riche.
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